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Iran : les débuts chancelants de l’administration Pezeshkian (1/2)

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La présidence iranienne est aux mains des réformateurs pour la première fois depuis deux décennies. Pendant sa campagne, Massoud Pezeshkian a déclaré qu’il s’engagerait à former un gouvernement jeune, technocrate et incluant les femmes et les minorités ethnoreligieuses du pays. Plus d’un mois après son élection, M. Pezeshkian a dévoilé le 11 août la composition de son cabinet ministériel au parlement mais les nominations divisent les partisans du Président.  

Massoud Pezeshkian, président de l'Iran depuis juillet 2024
Massoud Pezeshkian, président de la République islamique d’Iran

L’approbation de Massoud Pezeshkian par le Guide suprême

Le 28 juillet 2024, le président iranien Massoud Pezeshkian a officiellement été approuvé par le Guide suprême Ali Khamenei lors d’une cérémonie appelée « tanfeez » en persan et signifiant la transition pacifique du pouvoir d’un président à l’autre. Le 30 juillet, M. Pezeshkian a ensuite prêté serment devant le parlement lors de la cérémonie dite du « tahlif ». Outre les hauts fonctionnaires iraniens, des dignitaires de 88 pays et nombreuses organisations internationales ont assisté à l’événement. Dans son discours, M. Pezeshkian a réitéré son intention de suivre les politiques définies par le Guide suprême. Il a également souligné qu’il croyait en la possibilité de parvenir à un « consensus » national parallèlement à un « engagement » avec le reste du monde.

Le Président avait jusqu’au 13 août pour soumettre ses nominations ministérielles. A ce titre, Ali Khamenei a récemment déclaré que la tâche « immédiate » des législateurs était de procéder à un vote de confiance pour les ministres nommés. La liste des ministres ayant été soumise au parlement, le principal défi de M. Pezeshkian sera posé par les forces conservatrices. Bien qu’actuellement divisées, elles sont susceptibles de s’unir dans les mois à venir face à la menace que représentent les réformateurs au pouvoir. Elles utiliseront probablement toutes les institutions qu’elles contrôlent pour saper les actions de M. Pezeshkian, en particulier lorsqu’elles seront perçues comme menaçant les intérêts des conservateurs et notamment ceux de la faction dure maximaliste dite « Jebhe Paydari » (front de la persévérance).

La création d’un poste sur mesure pour Mohammad Javad Zarif 

Ancien chef de la diplomatie iranienne ayant vigoureusement fait campagne pour M. Pezeshkian, Mohammad Javad Zarif avait déclaré le 9 juillet qu’il n’avait pas l’intention de rejoindre le prochain cabinet. Il avait ainsi dissipé les rumeurs selon lesquelles il pourrait être choisi comme premier vice-président, soulignant que le nouveau gouvernement éviterait de nommer « des individus comme moi ayant occupé des postes à de nombreuses reprises ». A ce titre, Hamidreza Gholamzadeh, professeur à l’Université de Téhéran, avait déclaré que M. Zarif ne briguerait pas le poste de ministre des Affaires étrangères car « il sait qu’il ne sera pas approuvé » par le parlement conservateur.

Certains observateurs estiment également que la décision de M. Zarif est en partie motivée par la réaction des partisans de la ligne dure qui ont qualifié le nouveau gouvernement de « troisième mandat » de l’administration de Hassan Rouhani (2013-2021). Ainsi, au lieu d’être confronté à un rejet quasi-certain du parlement, M. Zarif a accepté début août sa nomination en tant qu’adjoint présidentiel chargé des affaires stratégiques. Ce poste a été créé spécifiquement pour M. Zarif puisqu’il n’existait pas auparavant dans la structure organisationnelle de la République islamique. Ce rôle de conseiller permettra à l’ancien diplomate d’influencer la politique étrangère iranienne sans les contraintes formelles qu’impliquerait un poste ministériel. M. Zarif a également été nommé à la tête du Centre d’études stratégiques, le groupe de réflexion de la présidence iranienne.

Commentant sa nomination, M. Zarif a déclaré le 2 août qu’il n’avait initialement pas l’intention d’accepter un poste au sein du gouvernement, malgré son rôle dans la campagne électorale de M. Pezeshkian. L’ancien chef de la diplomatie a expliqué qu’il n’avait changé d’avis qu’après que des Iraniens, notamment sur les réseaux sociaux, eurent insisté pour qu’il fasse partie du gouvernement. Cette pression, a-t-il expliqué, l’a amené à accepter un rôle consultatif officiel. Les détracteurs de M. Zarif l’ont accusé de malhonnêteté pour avoir accepté un poste au sein du gouvernement alors qu’il avait précédemment insisté sur le fait qu’il ne le ferait pas.

La présence momentanée de Javad Zarif au gouvernement

Toutefois, la présence de M. Zarif au sein du gouvernement aura été de courte durée puisque moins de deux semaines après sa nomination au poste d’adjoint aux affaires stratégiques, l’ancien chef de la diplomatie iranienne a démissionné de l’administration Pezeshkian. Sa démission aurait été motivée par une profonde déception face à la décision du Président d’ignorer en grande partie les recommandations du comité de transition dirigé par M. Zarif.

De plus, en coulisses, des partisans de la ligne dure auraient tenté de pousser M. Zarif à se retirer par le biais d’une loi de 2021 interdisant aux fonctionnaires d’avoir des liens avec l’Occident. M. Zarif a passé des années à la tête de la mission iranienne auprès des Nations unies à New York et ses enfants sont nés aux États-Unis. Bien que M. Zarif ait insisté sur le fait qu’aucun membre de sa famille n’avait de liens avec les États-Unis, la loi en question aurait été discrètement déployée pour faire pression sur le Président dès le début de son mandat. Cela aurait grandement contribué à sa démission alors même que M. Zarif fait l’objet de multiples sanctions américaines, démontrant à quel point les fractures partisanes restent la règle du jeu dans la politique iranienne.

Ainsi, le 11 août, dans la foulée de la publication des nominations ministérielles, M. Zarif a publié une déclaration sur Twitter/X annonçant son retour à l’Université de Téhéran. L’ancien ministre des Affaires étrangères s’est excusé de ne pas avoir pu faire émerger un cabinet jeune et représentatif.

Les conséquences du départ de Javad Zarif

Le départ de ce poids lourd de la politique intervient dans un contexte de déception générale à l’égard des choix ministériels de M. Pezeshkian. Certains partisans du Président estiment qu’il n’a pas tenu sa promesse de former un gouvernement plus jeune et inclusif. Dans ce contexte, la perte de M. Zarif pourrait être catastrophique pour le mandat de M. Pezeshkian. En effet, face à quatre candidats conservateurs, la campagne de M. Pezeshkian s’était d’abord essoufflée. La situation avait rapidement évolué lorsque M. Zarif s’est lancé dans la course, parcourant le pays et participant aux débats présidentiels télévisés pour en découdre avec les conservateurs et défendre son propre bilan.

Il est significatif que pratiquement tous les précédents présidents iraniens avaient réparti les postes ministériels entre leurs alliés politiques ou les avaient distribués dans le cadre d’un marchandage. Pour changer cette dynamique, M. Zarif avait reçu le mandat de mettre en place un comité de pilotage avec des groupes de travail spécialisés afin d’établir un processus de nomination équitable. Plus de 1 000 candidats à des postes ministériels ont été examinés sur une période de quatre semaines, avec un système de points mis en place pour rendre le processus plus transparent et fondé sur le mérite. Ce système avait pour objectif d’être utilisé par le comité pour promouvoir des visages plus jeunes, des femmes ainsi que des membres de minorités ethniques et religieuses.

En réaction à cette démission, une militante pro-réforme a mis en garde M. Pezeshkian contre l’acceptation de la démission de M. Zarif, affirmant que M. Pezeshkian pourrait devenir « le président le plus détesté » de l’histoire de l’Iran car la perte de M. Zarif signifierait la perte du soutien des réformateurs. Cette militante a également déclaré que les électeurs avaient voté pour « le binôme Pezeshkian-Zarif ».

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Ameerah Ismael

Diplômée d'un master en Relations internationales et Diplomatie et d'une licence en Langues étrangères appliquées (anglais-arabe-hindi) de l'Université Jean Moulin Lyon 3. Intéréssée par les enjeux politiques, militaires et sociétaux au Moyen-Orient mais également à l'Extrême-Orient.

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